Ressassement
Quand un pays va mal et n’arrive plus à se projeter dans l’avenir, le passé prend une importance de plus en plus grande, pour conduire ensuite au ressassement (Ressasser : revoir en esprit ; revenir sans cesse sur les mêmes choses, in Trésor de la langue française, informatisé).
Il y a deux manières de ressasser : la première consiste à se complaire dans les célébrations et autres commémorations. Les dates anniversaires des naissances et décès de grandes figures nationales, les grandes dates historiques (on se souvient du bicentenaire en 1989 qui aura marqué une forme d’apogée du genre), les grandes lois (actuellement, évidemment, c’est la loi de séparation de l’État et des Églises de 1905 qui est à l’honneur)...
Le second mode du ressassement consiste justement à ne pas célébrer, mais à revenir sur l’histoire en chaussant de nouvelles lunettes, en voulant à toute force proposer de nouvelles grilles de lecture, au risque de l’anachronisme : c’est le débat en cours sur le rôle de la France lors de la colonisation, ou encore la polémique lancée sur Napoléon par le livre de Claude Ribbe, Le Crime de Napoléon.
Prenons l’exemple du débat sur la colonisation : tout d’abord, quel besoin avait-on d’évoquer à l’article 4 de la loi du 23 février 2005 sur les rapatriés, le "rôle positif" de la colonisation ou de la présence française ? En 2005, est-ce un sujet d’actualité, qui intéresse les Français dans leur ensemble ? Ne serait-il pas plus pertinent de se poser la question non pas de ce qu’a fait la France au moment de la colonisation, mais de la meilleure façon d’intégrer les populations issues des anciennes colonies ? Parler de la colonisation sur ce mode (positif/négatif) permet de se cantonner au terrain idéologique, en schématisant et en durcissant les positions, et en renvoyant chacun à son identité théorique. C’est une guerre de positions, mais sans enjeu autre que rhétorique et symbolique. Or, bien qu’on ne puisse nier l’importance des symboles, nous avons désormais la fâcheuse tendance à nous y cantonner. Les grands discours plutôt que l’action, le ressassement plutôt que la projection, voilà désormais notre grande spécialité nationale.
Retour sur notre grandeur passée, analyse de nos infamies supposées, le ressassement nous permet de continuer à vivre dans un monde défunt, finalement plus « confortable », car plus facile à analyser, que celui auquel nous devons faire face. Malheureusement, cela signale un pays singulièrement peu sûr de lui malgré ses atouts.
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