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#93 des Tendances

Coco Chanel : collabo et agente secrète des nazis

Sous l’Occupation allemande en France, Gabrielle "Coco" Chanel, icône de la mode, tisse une toile complexe entre amour, ambition et compromission. Accusée de collaboration avec les nazis, voire d’espionnage, elle incarne un paradoxe : celle d’une femme libre, mais enchaînée à ses choix particulièrement troubles.

 

Une icône face à la guerre : Chanel sous l’Occupation

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate en 1939, Gabrielle Chanel, âgée de 56 ans, est déjà une légende. Sa maison de couture, symbole de l’élégance française, habille les élites, et son parfum N°5, créé en 1921, conquiert le monde. Pourtant, face à l’invasion allemande, elle prend une décision radicale : fermer son atelier de la rue Cambon, licenciant des milliers d’ouvrières. Officiellement, elle invoque la crise économique et son refus de créer sous l’Occupation. Mais ce choix, teinté de patriotisme apparent avec sa collection "bleu-blanc-rouge" de 1939, cache des motivations plus ambiguës. Chanel, femme d’affaires pragmatique, sent le vent tourner et cherche à protéger son empire.

 

Chanel No. 5 Pure Perfume 75 Ml Year: 1921 Very - Etsy

 

Cette fermeture ne signifie pas un retrait total. Contrairement à ce que prétendra l’Agence France-Presse à sa mort en 1971, Chanel ne s’exile pas en Suisse pendant la guerre. Elle reste à Paris, dans la somptueuse suite qu’elle occupe depuis 1937 à l’hôtel Ritz, place Vendôme. Cet établissement, réquisitionné en partie par les nazis pour loger des officiers de la Luftwaffe et des figures comme Hermann Göring, devient le théâtre de ses fréquentations troubles. Vivant au cœur de l’élite occupante, Chanel navigue dans un monde où luxe et compromission se mêlent, loin des privations de la France sous le joug allemand.

Son comportement intrigue. Pourquoi une femme aussi indépendante, qui a bâti sa fortune sur son audace, choisit-elle de rester dans ce microcosme collaborateur ? Les archives révèlent une Chanel pragmatique, mais aussi vulnérable. La guerre exacerbe ses rancunes, notamment contre les frères Wertheimer, industriels juifs propriétaires de 90 % des parfums Chanel. Profitant des lois antisémites de Vichy, elle tente en 1941 de reprendre le contrôle de son parfum fétiche, dénonçant les Wertheimer comme des "Juifs ayant abandonné" leur entreprise. Cette manœuvre échoue, les Wertheimer ayant anticipé en confiant leur société à un prête-nom, Félix Amiot. Ce épisode, documenté par les archives françaises et américaines, jette une lumière crue sur une Chanel prête à exploiter le contexte nazi pour ses intérêts personnels.

 

L’amour et l’espion : Hans Günther von Dincklage

Au Ritz, Chanel croise un homme qui va sceller son destin sous l’Occupation : Hans Günther von Dincklage, surnommé "Spatz". Ce baron allemand, de treize ans son cadet, est un diplomate au charme aristocratique, mais aussi un espion chevronné. Honoré par Hitler et Goebbels, il travaille pour l’Abwehr, le service de renseignement militaire allemand dirigé par l'amiral Wilhelm Canaris. Leur liaison, qui débute en 1940, n’est pas qu’une affaire de cœur. Elle plonge Chanel dans un univers d’intrigues où l’amour se mêle à la politique. À 57 ans, la couturière, connue pour ses passions tumultueuses avec des figures comme Igor Stravinsky ou le duc de Westminster, trouve en Dincklage un partenaire à la fois séduisant et dangereux.

 

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Les archives, notamment celles déclassifiées en Allemagne et aux États-Unis, confirment le rôle trouble de Dincklage. Il ne se contente pas de vivre aux crochets de Chanel au Ritz. En 1941, il la présente à des figures clés de l’Abwehr, comme le baron Louis de Vaufreland, un agent de la Gestapo impliqué dans des arrestations de résistants. Ensemble, ils orchestrent une mission à Madrid, où Chanel, enregistrée comme agent F-7124 sous le nom de code "Westminster", doit recueillir des informations politiques sensibles. En échange, elle espère la libération de son neveu, André Palasse, interné dans un camp allemand. Cette mission, bien que peu fructueuse, marque un tournant : Chanel n’est plus seulement une collaboratrice passive, elle entre dans le jeu de l’espionnage nazi.

 

The sweet scent of collaboration? – Coco Chanel | Dorinda Balchin – Author

 

Cette relation soulève des questions éthiques. Chanel était-elle consciente de l’ampleur de ses actes ? Les témoignages divergent. Edmonde Charles-Roux, auteure de L’Irrégulière, biographie de référence sur Chanel, affirme n’avoir jamais entendu la couturière tenir des propos antisémites, mais reconnaît sa "compromission grave" avec les Allemands. D’autres, comme Hal Vaughan, auteur de Sleeping with the Enemy (2011), la décrivent comme une antisémite convaincue, motivée par un anticommunisme viscéral et une cupidité sans scrupules. Ces accusations, appuyées par des documents d’archives, contrastent avec l’image d’une Chanel manipulée par Dincklage, une femme amoureuse dépassée par les événements. La vérité, peut-être, réside dans un mélange de calcul et de passion.

 

L’opération Modelhut : un pari fou pour la paix ?

En 1943, Chanel se lance dans une entreprise aussi audacieuse qu’irréaliste : l’opération "Modelhut" (Chapeau de couture). Orchestrée par Walter Schellenberg, chef du renseignement SS, cette mission vise à négocier une paix séparée entre l’Allemagne et la Grande-Bretagne, contournant l’Union soviétique. Chanel, forte de son amitié passée avec Winston Churchill, rencontré via le duc de Westminster, est choisie comme intermédiaire. Accompagnée de Vera Bate Lombardi, une amie liée à la famille Windsor, elle se rend à Berlin pour rencontrer Schellenberg, puis à Madrid pour transmettre une lettre à Churchill via l’ambassade britannique.

 

 

L’opération échoue lamentablement. Lombardi, dès son arrivée à Londres, dénonce Chanel et ses complices comme espions nazis, mettant fin à la mission. Les archives britanniques, consultées par Vaughan, montrent que Churchill, informé, ne donne pas suite. Ce fiasco révèle à la fois l’ambition démesurée de Chanel et sa naïveté politique. Voulait-elle réellement arrêter la guerre, comme elle le prétendra plus tard, ou cherchait-elle à sécuriser sa position dans un monde où l’Allemagne semblait encore pouvoir l’emporter ? Les documents ne tranchent pas, mais ils soulignent une constante : Chanel agit toujours dans son intérêt, qu’il s’agisse de sa fortune, de sa liberté ou de son image.

Cet épisode, largement documenté, alimente le débat sur ses motivations. Pour certains, comme l’historien Reinhard R. Doerries, Chanel n’était qu’un pion dans les machinations de Schellenberg, manipulée par son entourage nazi. Pour d’autres, elle a sciemment joué un rôle actif, utilisant ses connexions pour se rapprocher du pouvoir. Quoi qu’il en soit, "Modelhut" illustre la complexité de son personnage : une femme capable de rêver grand, mais prête à s’allier avec le diable pour y parvenir.

 

Une résistante improbable ? Les révélations controversées

En 2023, une exposition au Victoria and Albert Museum de Londres, Gabrielle Chanel. Fashion Manifesto, secoue le débat. Deux documents, issus des archives françaises, suggèrent que Chanel aurait été un "agent occasionnel" du réseau ERIC, une branche de la Résistance liée aux services secrets britanniques, entre janvier 1943 et avril 1944. Un certificat de 1957 atteste même de son appartenance aux Forces Françaises Combattantes. Ces révélations, relayées par des médias comme Ouest-France et France TV Info, semblent réhabiliter Chanel, peignant une image d’une femme jouant double jeu, à la fois avec les nazis et contre eux.

Pourtant, ces preuves suscitent le scepticisme des historiens. Guillaume Pollack, spécialiste de la Résistance, pointe plusieurs incohérences dans un article de France 24. Le certificat de 1957, délivré tardivement, coïncide curieusement avec l’Oscar de la mode décerné à Chanel cette année-là, suggérant une possible opération de communication. De plus, le nom du réseau ERIC apparaît sur une partie effacée du document, et aucune autre archive ne mentionne Chanel parmi ses membres. Pollack conclut que ces "preuves" pourraient être une tentative de Chanel pour redorer son blason après la guerre, une pratique courante parmi les collaborateurs cherchant à échapper à l’épuration.

Cette controverse reflète la difficulté d’établir la vérité sur Chanel. Les archives, bien que riches, sont fragmentaires, et les témoignages souvent biaisés. Était-elle une opportuniste jouant sur tous les tableaux, ou une femme piégée par ses fréquentations ? La déontologie historique impose de ne pas trancher sans preuves irréfutables, mais les documents actuels penchent davantage vers une Chanel compromise que vers une héroïne de la Résistance. Son arrestation en 1944, suivie d’une libération rapide, grâce à l’intervention de Churchill, renforce l’idée d’une femme protégée par ses réseaux, plus que par ses mérites patriotiques.

 

Un passé qui hante

À la Libération, Chanel échappe de justesse à l’opprobre. Arrêtée en septembre 1944 par le comité d’épuration, elle est relâchée après quelques heures, selon sa petite-nièce Gabrielle Palasse-Labrunie, grâce à l’intervention de Winston Churchill, le Premier ministre britannique. Cette clémence, rare pour une figure aussi exposée, alimente les spéculations. Certains historiens, comme Vaughan, suggèrent que Churchill craignait que Chanel ne révèle les sympathies pro-nazies de certains membres de l’élite britannique, notamment Édouard VIII. Quoi qu’il en soit, Chanel choisit l’exil en Suisse dès 1945, rejoignant un cercle de collaborateurs et de vichystes, dont Paul Morand.

 

Coco Chanel: Fashion Designer, Nazi Informant | Antiques Roadshow | PBS

 

Son retour à Paris en 1954 marque une renaissance. À 71 ans, elle relance sa maison de couture, reconquérant le monde de la mode avec des créations intemporelles comme la petite robe noire. Mais son passé reste un secret bien gardé. Ce n’est qu’à partir des années 1990, avec des enquêtes comme celles de L’Express et Der Spiegel, que les premières révélations émergent. Le livre de Vaughan en 2011, basé sur des archives déclassifiées, fait l’effet d’une bombe, confirmant son rôle d’agent nazi. Malgré les dénégations de la maison Chanel, qui rejette les accusations d’antisémitisme, ces disclosures ternissent l’image de la couturière.

Gabrielle Chanel, née dans la misère et élevée à l’école de la débrouillardise, a construit un empire en défiant les conventions. Mais sous l’Occupation, ses choix l’ont entraînée dans une spirale de compromissions. Amoureuse d’un espion nazi, agente pour l’Abwehr, manipulatrice des lois antisémites, elle a flirté avec l’ennemi tout en cultivant l’illusion d’une neutralité. Les archives, croisées avec soin, révèlent une femme complexe, ni héroïne ni monstre, mais un produit de son temps, prête à tout pour protéger son nom et sa fortune.

 

Gabrielle Chanel 1913-1971 | 愚眼看世界 | Flickr

 

Aujourd’hui, l’héritage de Chanel est double. D’un côté, elle reste une icône de la mode, célébrée pour avoir libéré les femmes des corsets et imposé une élégance moderne. De l’autre, son passé collaborationniste, documenté par des sources fiables, pose une question lancinante : peut-on séparer la créatrice de ses actes ? Les débats autour de son rôle dans la Résistance, bien que séduisants, ne suffisent pas à effacer les preuves de sa compromission. Chanel, en somme, incarne les contradictions d’une époque où survie et morale s’entrechoquaient, laissant derrière elle un parfum d’élégance mêlé de trahison.

 


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9 réactions à cet article    


  • Alain Malcolm Alain Malcolm 2 mai 12:02

    La liberté, c’est aussi de pouvoir commettre le Mal.


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 2 mai 12:12

      @Alain Malcolm
       
      ’’La liberté, c’est aussi de pouvoir commettre le Mal. ’’
      >
      Oui, et les kapos s’en donnent à cœur joie sous les régimes totalitaires.
       
      « Quand un imbécile fait une action dont il a honte, il prétend toujours que c’est par devoir. » George Bernard Shaw


    • Alain Malcolm Alain Malcolm 6 mai 12:56

      @Francis, agnotologue
      Ouais c’est shaw.


    • Gégène Gégène 2 mai 12:27

      Oups !

      J’ai lu rapidement le titre, et j’ai pensé « encore une attaque contre les cocos » !

      ébénon, pas sevodnya (pardon, pas aujourd’hui) !

      Au temps, autant pour moi !


      • Bonjour @Gégène,

        Il ne faut jamais abuser des bonnes choses. smiley


      • juluch juluch 2 mai 12:56

        Il est sortit pas mal de livre sur elle et ses agissements pendant l’occupation.

        Elle ne fut pas la seule ou les soupçons de collaborationnisme furent émis après la guerre....

        Entre « je m’occupe de rien » et « peut être que... » période noire pour les célébrités.

        On pourrai citer Arletty, Pierre Fresnay etc


        • Bonjour @juluch,

          Effectivement, beaucoup de livres sur les agissements de Coco Chanel pendant l’Occupation Allemandes ont été publiés ces dernières décennies. Elle fut bien plus qu’une collaboratrice car elle a travaillé pour le IIIe Reich.

          Sous l’occupation allemande, il y a eu beaucoup d’artistes et d’intellectuels qui ont collaboré, passivement ou activement, avec les nazis. Sacha Guitry, Colette, Tino Rossi, Maurice Chevalier, Jean Cocteau, etc. Tout ce beau monde se rendait aux soirées de l’ambassadeur Otto Abetz ou à celles de la Gestapo française de la rue Lauriston... L’alcool coulait à flot et les mets étaient très délicats. Pendant ce temps, les Français devaient attendre des heures devant une boulangerie avant d’avoir un morceau de pain (quand il y en avait).


        • Témoignage direct : un journaliste irlandais arrêté, passé à la question et expulsé de Roumanie pour l’empêcher de couvrir l’élection

          Une élection tellement frauduleuse qu’il semble qu’en contrôler le narratif soit une raison d’Etat.

          « Quand j’ai atterri à Bucarest, avant que quiconque ne soit autorisé à quitter l’avion, un groupe d’officiers de police est arrivé sur le tarmac, retrace le journaliste irlandais Chai Bowes, qui travaille pour RT.

          On m’a emmené directement dans une zone d’interrogatoire où on m’a posé des questions, puis dans une autre salle plus petite avec deux chaises et une table.

          Des questions auxquelles il a refusé de répondre, précise-t-il.

          Et puis on m’a présenté un document, qui, de toute évidence, avait préparé, selon lequel j’étais une menace pour la sécurité de l’État.


          L’Europe et ses intenses dirigeantes , le principe de la gestapo est à tous les étages.

           http://t.me/kompromatmedia_2/2539


          • Laurent Brayard

            Fiche tirée de mon livre non paru, Die Spinne, L’Ordre Noir du IIIe au IVe Reich européen : Karl Dieter (1903-1956), originaire du Palatinat, Allemagne, il entra dans la police dans les années 20, et fit carrière en montant les grades. Il commença comme inspecteur dans la police criminelle dans diverses villes de la République de Weimar.

            Il rejoignit le Parti Nazi (1937), entrant bientôt dans la SS, où il atteignit le grade de SS Sturmbannführer. Il fut versé dans les services de sécurité du Reich, le SD. Il fut nommé surintendant, puis commandant du camp pour jeunes garçons de Moringen (1940-1944). Le camp avait été fondé dans l’automne 1940, devant accueillir des jeunes de 16 à 21 ans. Dieter fut chargé de sélectionner dans le camp « dans une campagne d’hygiène raciale préventive, les détenus aux traits biologiques criminels » et leur liquidation ou déportation dans un camp de la mort (1942-1943). Le camp accueillit environ 1 400 prisonniers, les pertes sont inconnues, mais estimées à 10 % de l’effectif.

            Il fut arrêté après la fin de la guerre (1945), et fut finalement « dénazifié » par un tribunal allié (1949), c’est à dire libéré sans poursuites judiciaires. Il obtînt d’être réintégré dans la police ouest-allemande (1951), retournant à la police criminelle, et envoyé à Mayence. Il devînt le chef de ce département, puis fut muté à Coblence (1955).

            Son nom était réapparu par les archives, dans ses activités dans le camp de Moringen, notamment la stérilisation des jeunes détenus, considérés par les nazis comme des éléments que l’on devait empêcher de se reproduire, « pour empêcher la contamination du peuple allemand » (eugénisme, idéologique anglo-saxonne). Il était aussi accusé de l’exploitation inhumaine des prisonniers comme main d’œuvre forcée, vendue à des entreprises allemandes, les salaires étant versés à la SS. Il eut la bonne idée de décéder subitement, alors qu’une procédure judiciaire allait être lancée contre lui (1956).

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